Un accord foncier aux conséquences graves
En 2011, la multinationale genevoise Addax Bioenergy s’est lancée dans la production de bioéthanol à base de canne à sucre en Sierra Leone, causant à des villages entiers la perte de leurs terres. Addax a cessé ses activités à la mi-2015 et a vendu le projet à un groupe anglo-chinois fin septembre 2016. Les effets négatifs demeurent – et donc aussi la responsabilité de l’entreprise et des banques de développement.
En 2009, l’entreprise multinationale genevoise Addax Bioenergy a loué 54 000 ha de terrain dans la région de Makeni, en Sierra Leone, pour y cultiver la canne à sucre avec laquelle elle entendait fabriquer du bioéthanol destiné au marché européen. En parallèle, les déchets produits devaient servir à générer de l’électricité pour le réseau national. Selon Addax, ce projet était le modèle par excellence d’investissement durable. D’un montant total d’EUR 455 millions, le financement venait pour moitié de deniers publics, par le truchement de huit banques de développement, dont une partie issue de l’aide au développement helvétique.
D’une durée de 50 ans, les baux négociés par Addax ont été signés par les chefs locaux responsables de la gestion des terres. Portant, sur des champs jusqu’à lors mis en valeur par des familles paysannes pour y cultiver des légumes, du riz ou du manioc, ces contrats ont semé la zizanie dans les villages. Pour l’EPER (autrefois Pain pour le prochain), c’est un exemple d’accaparement de terres, raison pour laquelle l’organisation a aidé son organisation partenaire sur place, Sierra Leone Network on the Right to Food (SiLNoRF), à surveiller l’évolution de la situation et à accompagner les habitant·e·s dans leurs négociations avec Addax.
Aucune perspective d’avenir
En juin 2015, Addax a annoncé que 75 % du projet serait vendu au groupe anglo-chinois Sunbird Bioenergy. Addax a conservé 25 % des actions. Avant la vente, Addax avait remboursé tous les prêts aux banques de développement. Les engagements sociaux et environnementaux pris par Addax ont ainsi perdu leur validité. Mais les plantations et les baux restent en place, comme en témoigne la visite de l’EPER en avril 2016 : là où l’on cultivait autrefois des aliments, on trouve aujourd’hui des plantations de canne à sucre partiellement inutilisées.
En mai 2019, on a appris que Sunbird avait apparemment fait venir le groupe Brown du Sri Lanka en tant qu’investisseur à la recherche de nouveaux fonds. Ce nouvel acteur ajoute une incertitude supplémentaire à la renégociation hésitante des contrats de location. Ce qui est certain, cependant, c’est que le projet n’aurait jamais vu le jour sans les fonds des banques de développement, ce qui les rend responsables.
Le programme d’aide agricole mis sur pied par Addax ayant pris fin, la population est maintenant obligée d’acheter à prix d’or du riz importé. Or, l’argent manque : des milliers de personnes ont perdu leur emploi temporaire chez Addax. Les activités accessoires qui étaient apparues, location de logements ou petite restauration en bordure de route, par exemple, se sont effondrées.
Bien que Sunbird ait repris ses activités, le développement promis a échoué et l’avenir reste incertain. L’EPER continuera à soutenir son organisation partenaire SiLNoRF afin de défendre les droits des habitant·e·s de la région de Makeni.
Déplacement exlu !
Dans la phase initiale du projet, l’entreprise certifiait qu’il n’y aurait pas de déplacement des populations. En mars 2019, cependant, des villageois·e·s ont rapporté qu’on leur avait soudainement annoncé que le village de Tonka devrait être réinstallé quelques jours plus tard. Tonka est situé à proximité immédiate de l’usine et l’agitation était grande. Les 300 villageois·e·s ont accès à de l’eau dans les réservoirs que l’entreprise met à leur disposition. Ceux-ci sont trop petits et ne sont pas suffisants pour l’ensemble du village. De plus, l’entreprise elle-même affirme que l’eau potable du village est fortement polluée. Grâce à la médiation de notre partenaire SiLNoRF avec l’entreprise et les autorités locales, le déplacement des villageois·e·s a pu être évité et la situation a pu être apaisée. Entre-temps, un déplacement pour 2020 a, à nouveau, été annoncé. Nous continuons à exiger que les villageois·e·s soient consultés et puissent se prononcer sur la question du déplacement de leur village.
Ce qu’exige l’EPER
L’exemple d’Addax montre bien que le développement durable ne passera par les grandes multinationales, mais par celles et ceux qui vivent de la terre. C’est pourquoi nous préconisons de délaisser le modèle agricole actuel qui repose sur des intérêts industriels et commerciaux pour revenir à une agriculture écologique déterminée par les paysan·ne·s.
Pas de financement pour l’accaparement de terres :
Même si Addax a remboursé l’argent public, les actrices et les acteurs du développement – que ce soit le Secrétariat d’État à l’économie (SECO), la Direction du développement et de la coopération (DDC), tout comme les banques de développement qu’ils financent – doivent cesser d’accorder des prêts à des projets qui accaparent des terres.
Des responsabilités à assumer :
Addax, les banques de développement, le SECOe t la DDC doivent assumer leur part de responsabilité ou du moins veiller à ce que tout nouvel investisseur respecte les droits des personnes que leurs projets affectent ainsi que les règles internationales en matière d’affermage.