« La discrimination a de nombreux visages »
Katarina Stigwall est coresponsable du Bureau de consultation de l’EPER contre le racisme et la discrimination en Suisse orientale. Dans un entretien, elle décrit les effets de la discrimination sur les personnes qui en sont victimes et explique comment lutter contre ce phénomène au quotidien.
Katarina, tu es née en Suède, mais tu vis depuis plus de dix ans à Saint-Gall avec ta famille. Te sens-tu chez toi Suisse ?
J’ai eu le grand privilège de pouvoir choisir et de venir ici de mon plein gré. Je me suis toujours sentie la bienvenue en Suisse. La seule chose qui me dérange, en tant que politologue, c’est le fait de ne pas avoir le droit de vote. Pour cette raison, nous avons déposé il y a peu une demande de naturalisation.
Pourquoi un tel bureau de consultation contre le racisme et la discrimination est-il nécessaire ?
Nous recevons chaque année plus de 60 plaintes, et la tendance est à la hausse. Il ne s’agit en effet que d’une infime partie des cas. Selon les derniers chiffres de la Confédération, près d’un tiers des personnes vivant en Suisse déclarent avoir été victimes de discrimination sous une forme ou une autre. Je considère donc le travail du bureau de consultation comme essentiel, non seulement pour soutenir les personnes concernées, mais aussi pour mettre en lumière ce sujet.
À quels cas de discrimination es-tu confrontée dans le cadre de ton travail ?
La discrimination a de nombreux visages. Chaque cas est unique. Souvent, nous traitons des cas de discrimination à l’école. Quand un enfant va mal, il faut agir vite. Un autre problème récurrent est celui du délit de faciès. Ce problème ne concerne pas uniquement la police, il peut se produire au quotidien, par exemple quand une personne doit régulièrement montrer le contenu de son sac quand elle se rend dans un magasin. Les personnes qui nous contactent ont souvent vécu des choses difficiles et ne savent plus quoi faire.
Comment soutenez-vous concrètement ces personnes ?
Nous les rencontrons toujours individuellement pour un entretien, nous les écoutons. Souvent, l’incident pour lequel ces personnes viennent nous voir dissimule une histoire plus longue. Dans certains cas, la personne souhaite simplement qu’on lui dise : « Oui, votre expérience est bien réelle. Ce que vous avez vécu, c’est de la discrimination raciale. » Être à l’écoute et confirmer les suppositions constituent une part importante de notre travail. Si la personne le souhaite, nous cherchons à dialoguer avec l’individu ou l’institution à l’origine du traitement discriminatoire. Souvent, les choses peuvent se résoudre par le dialogue. Cependant, certains cas présentent une dimension juridique, notamment les infractions comme les discours de haine ou la violence. Dans ce genre de cas, nous orientons la personne concernée vers les services compétents, afin qu’elle puisse bénéficier d’un soutien juridique.
Sur le plan émotionnel, que se passe-t-il chez les personnes concernées ?
Chez les personnes qui font l’objet d’une discrimination persistante, on assiste à une certaine normalisation. Nombre de ces personnes développent des stratégies pour vivre avec ces discriminations au quotidien, ce qui me bouleverse profondément. Par exemple, elles gardent toujours les tickets de caisse pour pouvoir les montrer quand on contrôle leur sac. Les conséquences peuvent cependant être encore plus graves, notamment sur la santé. Quand on vous exclut sans cesse, qu’on ne vous prend jamais au sérieux, il y a de quoi tomber malade, tant sur le plan psychique que physique.
Nombre de personnes victimes de discrimination développent des stratégies pour vivre avec au quotidien. Cela me bouleverse profondément.
La discrimination engendre donc aussi des coûts pour l’ensemble de la société.
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) considère même le racisme comme un danger pour la société. Donc oui, les conséquences sociales sont bien réelles. Pour le système de santé, pour le marché du travail, qui perd de la main-d’œuvre qualifiée. L’égalité des droits est l’un des fondements indispensables d’un État de droit. Si nous empêchons certains groupes de s’exprimer, il manque une dimension importante. En tant que société, nous ne pouvons pas nous le permettre, car la Suisse, c’est nous toutes et tous.
Conseils gratuits
Le Bureau de consultation de l’EPER contre le racisme et la discrimination propose des conseils gratuits aux personnes et aux institutions victimes ou accusées de discrimination raciale.
Le bureau de consultation mène aussi des activités de prévention et de sensibilisation. Ainsi, à l’été 2023, l’EPER lancera la boîte à outils « Ich doch nicht ...! » (Je n’ai rien fait... !) pour une vie professionnelle sans discrimination.
En prenant conscience de notre propre comportement vis-à-vis des autres, nous contribuons activement à identifier et à prévenir les situations de discrimination raciale. Cette boîte à outils contient du matériel interactif (en allemand) permettant d’aborder simplement les questions de la discrimination et du racisme au quotidien.
Elle peut être commandée auprès du Bureau de consultation contre le racisme et la discrimination :
beratungsstelle-diskriminierung@heks.ch