Lutte pour la justice climatique mondiale
L’audience de conciliation, qui s’est tenue en octobre 2022, s’est soldée par un échec. Aujourd’hui, quatre habitant·e·s de l’île indonésienne de Pari, qui risque de disparaître sous les eaux, engagent donc une action en justice contre le groupe cimentier suisse Holcim. Ils demandent à Holcim de les indemniser pour les dommages déjà causés sur l’île, de participer au financement de mesures de protection contre les inondations et de réduire rapidement ses émissions de CO2. Pour la première fois, une entreprise suisse doit répondre juridiquement de son rôle dans les changements climatiques. Le leader de l’industrie du ciment fait trop peu pour réduire ses émissions de façon à ne pas dépasser le seuil de 1,5 °C de réchauffement planétaire. En outre, il a commencé bien trop tard. C’est ce que révèle une récente analyse de la stratégie climatique de Holcim (lire l'analyse).
Pulau Pari, l’île indonésienne sur laquelle vit Pak Arif, a été inondée cinq fois l’année dernière. Durant l’hiver 2021, l’eau avait déjà pénétré dans sa maison et causé de gros dégâts. « Chaque année, c’est pire », affirme Arif. Pour le mécanicien de 52 ans, l’origine du phénomène ne fait aucun doute : « À cause des changements climatiques et de l’élévation du niveau de la mer, notre île de faible altitude est de plus en plus souvent inondée lors de tempêtes. » Cette situation menace son existence et celle des 1500 autres habitant·e·s de Pulau Pari, et ce, alors qu’ils ont à peine contribué au réchauffement climatique.
Face à cette injustice, Arif, Asmania, Bobby et Edi ont décidé de se défendre. En juillet 2022, ces quatre habitant·e·s de l’île de Pari ont déposé une requête de conciliation à Zoug, où se trouve le siège du groupe Holcim. Toutefois, lors de l’audience, Holcim n’a manifesté aucune intention de répondre à leurs demandes. Le 30 janvier 2023, les quatre plaignant·e·s ont donc déposé, au nom de toute l’île, une plainte contre le groupe devant le Tribunal cantonal de Zoug. « Notre existence est menacée, affirme Asmania, nous voulons que les responsables agissent enfin. »
Holcim : trop peu – trop tard
Holcim est le leader mondial du ciment, un constituant de base du béton. Le groupe suisse fait partie des 50 entreprises qui émettent le plus de CO2 au monde. En effet, la production de ciment en génère d’énormes quantités. Selon une étude (en anglais), Holcim a émis plus de sept milliards de tonnes de CO2 entre 1950 et 2021. Cela représente 0,42 % de l’ensemble des émissions industrielles mondiales de CO2 depuis 1750, soit plus du double de ce que la Suisse a émis sur la même période. Le groupe est donc en grande partie coresponsable de la crise climatique et de la situation critique sur l’île de Pari.
En outre, les objectifs climatiques actuels de Holcim ne suffisent pas pour atteindre l’objectif fixé dans l’accord de Paris sur le climat, c’est-à-dire limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C. C’est ce que révèle une analyse actuelle de la stratégie climatique du groupe, publiée par l’EPER : Holcim fait trop peu pour réduire ses émissions, et il a commencé trop tard. Concrètement, le groupe prévoit surtout une réduction des émissions par tonne de ciment, et non une réduction absolue de ses émissions de CO2. Qui plus est, les méthodes de la Science Based Targets initiative (STBi), l’organisation chargée d’évaluer et de valider les objectifs climatiques de Holcim, font l’objet de critiques. En effet, la répartition du budget résiduel de CO2 entre les différents actrices et acteurs ne fait que maintenir le statu quo et ne tient pas compte de la responsabilité historique et des capacités économiques des responsables.
Engagement pour des millions de personnes
L’action contre Holcim s’inscrit dans un mouvement international. Toutefois, ce n’est que la deuxième plainte climatique déposée par des personnes touchées dans les pays du Sud. Qui plus est, en demandant à Holcim de réduire rapidement ses émissions, les plaignant·e·s le mettent non seulement face à ses responsabilités pour les dommages causés par le passé, mais l’invitent aussi à assumer ses responsabilités à l’avenir. Il s’agit là d’un point essentiel pour eux : ils ne portent pas uniquement plainte dans le but d’obtenir réparation pour les dommages personnels subis. Ils souhaitent aussi contribuer à préserver les moyens de subsistance de millions de personnes dont l’existence est menacée par le dérèglement climatique, en particulier dans les pays du Sud.